Les dangers de la naturopathie : un sujet épineux pour ses praticiens

En tant que naturopathe depuis 8 ans, j'avoue être fatiguée des suspicions continuelles liées à nos pratiques. Je pense réaliser mes accompagnements correctement, de façon claire, transparente et raisonnée. Et pourtant, le simple nom de ma pratique : la naturopathie, me met dans la même case que tous ceux qui alimentent les dérives sectaires, délirantes et dangereuses, par manque de cadre légal pour régir ce métier de bien-être.

Si je pense faire mon boulot correctement (et nombre de naturopathes le font également), je ne peux que constater que les dérives de certains existent bel et bien...

Pour évoquer ce sujet épineux, j'ai envie de te parler aujourd'hui d'une simple série télé, qui illustre avec beaucoup de justesse les dangers de la naturopathie mal utilisée.

Apple Cider Vinegar ou les potentiels dangers d'une naturopathie mal utilisée

Apple Cider Vinegar est une mini-série diffusée sur la plateforme Netflix, basée sur l'histoire vraie d'Annabelle Natalie Gibson, une influenceuse et entrepreneuse du bien-être australienne condamnée pour fraude pour ses agissements entre 2012 et 2015.

Si la série s'est focalisée sur la rocambolesque histoire de "Belle" Gibson, dont les actions n'avaient que pour objectif d'attirer l'attention sur elle et de gagner argent et succès, elle met également en lumière les nombreuses victimes silencieuses de cette influence néfaste via les réseaux sociaux.

La "Healthy food" et l'influence sur les réseaux sociaux

L'histoire de cette série est simple. Belle Gibson est une jeune femme qui souffre manifestement du syndrome de Münchhausen (pas de panique, je ne vous spoile rien du tout, on le constate dès le départ...). Perturbée depuis l'enfance, elle ne cesse de s'inventer des maladies pour attirer la compassion. L'avènement des réseaux sociaux dès le début des années 2010 pousse la jeune femme à exposer sa "pseudo-histoire médicale" sur Instagram, racontant son quotidien avec un cancer du cerveau (purement inventé de toutes pièces). Elle gagne ainsi la sympathie de nombreux followers. Belle est crédible, elle est tellement obsédée par la maladie qu'elle finit par s'y connaître vraiment, et explique chaque jour à ses followers comment elle est parvenue à une rémission de son cancer en mangeant mieux et plus sain.

Mais Belle est également une entrepreneuse dans l'âme (ça, objectivement, on ne peut pas lui enlever), avec une capacité étonnante à créer des projets visionnaires et à se donner les moyens (de façon souvent limite et discutable) de réussir. Elle est également particulièrement douée pour la cuisine healthy, et on ne peut pas nier qu'elle en connaît un rayon à ce sujet.

De fil en aiguille, Belle monte une véritable entreprise basée sur la diffusion d'une application mobile The Whole Pantry (traduction : tout le garde-manger) qui permet de réaliser des recettes saines, qui, selon elle, permettent de soigner de manière naturelle et même de "guérir le cancer". Le succès est au rendez-vous. Je te laisse deviner la suite...

Parallèlement au personnage de Belle, on suit également le personnage secondaire de Milla Blake, une jeune femme réellement atteinte d'un cancer rare et agressif, également influenceuse sur les réseaux sociaux, dont l'histoire est finalement l'opposé de celle de Belle, mais aux mêmes conséquences néfastes. Milla est intimement convaincue que son alimentation saine drastique et ses pratiques naturelles extrêmes la sauvent de son cancer.

La différence entre les deux : Belle sait très bien ce qu'elle fait, Milla, quant à elle, est la victime de ses propres croyances.

Le personnage de Milla n'existe pas dans la réalité, mais il a été librement inspiré de Jessica Ainscough, une rédactrice de magazine à qui on avait diagnostiqué un cancer agressif et qui s'était tournée uniquement vers les "médecines douces". Elle est aujourd'hui décédée.

Le personnage de Milla Blake regroupe en fait l'ensemble des influenceuses de l'époque qui, en toute honnêteté, étaient réellement convaincues de ce qu'elles prônaient : l'exclusivité du "tout-naturel" comme traitement contre le cancer.

Deux histoires : les mêmes conséquences néfastes

J'ai beaucoup aimé cette mini-série, qui illustre avec une grande justesse les dérives actuelles de la naturopathie, à savoir :

• la dangerosité de ne pas reconnaître les limites de notre pratique,

• l'appât du gain autour des métiers du bien-être

• et l'influence sur les réseaux sociaux.

Le mot naturopathie n'y est jamais prononcé, mais le fait est : tout ce qu'on voit dans cette série, c'est ce qu'on bourre (à mauvais escient) dans la case "naturopathie". Une naturopathie mal utilisée, souvent bien trop extrême et dénuée de sens.

Dans l'histoire de la série, sous l'influence d'Instagram, les malades choisissent d'abandonner leurs traitements médicamenteux (chimiothérapie, radiothérapie et absolument tous les médicaments finalement, même les antidouleurs) au profit de "méthodes naturelles" le plus souvent extrêmes (lavements au café cinq fois par jour, alimentation uniquement composée de jus, jeûnes à rallonge, etc.). Et bien souvent, ces pratiques réalisées en mode "accompagné" dans des "centres" leur coûtent une petite fortune.

Quelles réflexions en tirer à propos des dangers de la naturopathie ?

La vraie naturopathie pratique l'art de la modération

Je pense que tout est dit en une phrase. Pour moi, la vraie naturopathie moderne et raisonnée consiste à pratiquer la modération en toute chose. Et tout ce qu'on voit dans cette série va à l'envers de ce principe de base. Un bon naturopathe, qui connaît son métier, ne conseillera jamais à une personne malade d'arrêter ses médicaments pour préférer "les thérapies alternatives" ou les "médecines non conventionnelles". Le praticien naturopathe n'étant, par définition, pas médecin, ça relèverait de l'exercice illégal de la médecine (ça, c'est pour le côté loi, cadre juridique, etc.). Mais au-delà de ça, ce genre de suggestion potentiellement dangereuse est clairement aberrant : la perte de chances pour les malades est réelle, c'est leur vie qui est en jeu.

La MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) nous a dans le collimateur, et on peut le comprendre avec tout ce qui se passe sous nos yeux impuissants.

La naturopathie n'est pas magique, elle ne remplace pas la médecine conventionnelle. Les naturopathes en France n'ont pas de titre de médecin ni même de professionnel de santé. Le naturopathe ne peut pas traiter une pathologie avec des pratiques non conventionnelles. La phytothérapie et les huiles essentielles ne remplacent pas les médicaments.

Les pratiques d'hygiène de vie extrêmes n'ont rien à faire dans un programme d'hygiène vitale, et encore moins en diffusion libre sur les réseaux sociaux.

Ça, c'est pourtant la base...

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Les réseaux sociaux : la désinformation

Quand on utilise les réseaux sociaux, on devrait être conscient d'une chose : chacun y publie ce qu'il veut, y raconte ce qu'il veut. Les allégations dans le domaine de la santé y vont bon train. Mais peut-on faire confiance de façon aveugle à une vidéo de deux minutes (souvent sponsorisée) qui prône un remède naturel pour rester en bonne santé, sans même savoir si ça nous est adapté ? Les dangers potentiels sont grands...

Ce que les utilisateurs devraient faire si une publication les interpelle à propos d'une pratique : se renseigner de façon plus approfondie en utilisant des sources plus sûres que les réseaux sociaux, et surtout prendre rendez-vous avec un bon naturopathe, pour savoir si ça peut vraiment les aider, si ça n'est pas contre-indiqué, et surtout se faire accompagner de façon individuelle et personnalisée, pour une prise en charge globale.

La naturopathie utile, mais pas seule...

Les méthodes naturelles ont tout leur intérêt dans l'accompagnement des personnes malades. Mais l'objectif n'est pas de soigner ou de guérir. Le but est de mettre tout en œuvre pour participer à favoriser le processus de guérison (et ça n'est pas du tout la même chose).

Mais qu'est-ce que ça veut dire ?

• Donner à l'organisme ce qui lui est nécessaire pour fonctionner au mieux

• Arrêter d'alimenter les troubles / la maladie grâce à une meilleure hygiène de vie

• Procurer plus de bien-être, mieux vivre avec le trouble.

Ces trois objectifs n'ont d'intérêt qu'en complémentarité des médicaments et traitements, et ne s'y opposent pas ! Et ça, seuls ceux qui ont fait une véritable formation en naturopathie le savent.

Le principe est pourtant simple : quand on est malade, on est diagnostiqué par un médecin qui propose un traitement médical adapté. Et si on est judicieux, on complète ça par une bonne alimentation, un bon sommeil, un mode de vie adapté au problème de santé : en plus ! Et pas en remplacement ! Et si on ne sait pas comment mettre tout ça en place de façon efficace, on se fait accompagner par un naturopathe, pour une avancée individualisée et progressive.

En résumé :

Cette série permet d'ouvrir les yeux sur une réalité dérangeante, où tout n'est qu'amalgame, entre véritables professionnels de la naturopathie et influenceurs sur les réseaux sociaux. L'application The Whole Pantry avait un réel potentiel en matière de bien-être et d'alimentation saine, surtout pour l'époque. Mais à se targuer d'allégations santé infondées, elle a basculé vers le côté obscur, entraînant avec elle de nombreux patients crédules.

Certains praticiens auto-proclamés polluent le métier de naturopathe. Ce sera le cas tant qu'il n'y aura pas de lois pour réglementer et encadrer la profession, et tant que la vraie naturopathie ne sera pas reconnue en France.

Le métier fait pourtant l'objet d'une véritable formation de naturopathie et les écoles sérieuses sont nombreuses. La Fédération française de naturopathie tente d'harmoniser les pratiques, ce qui est louable. Mais pendant ce temps, certains praticiens naturopathes (qui n'en sont pas, en réalité) alimentent les réseaux sociaux de leurs inepties, mettant les personnes en état de sujétion psychologique et faisant d'elles de véritables victimes de sectes.

Au-delà du travail officiel de nos instances pour faire reconnaître notre métier et l'encadrer, c'est sur le terrain, en pratiquant de manière raisonnée, transparente et claire que les praticiens naturopathes pourront rééquilibrer la balance, en s'opposant à ces dérives sectaires et dangereuses.

On peut faire confiance à la naturopathie si elle est pratiquée de façon réfléchie.

L'ensemble des pratiques non médicamenteuses ne sont pas sans danger si elles sont mal utilisées, mais la naturopathie a tout à offrir si elle s'inscrit dans une démarche de bien-être raisonnée. C'est seulement dans ce cadre qu'elle pourra obtenir une reconnaissance par les professions de santé et par notre système de santé tout entier.